Aménagement de l’avenue du Port : changer de paradigmes
Posted on | juillet 7, 2011 | No Comments
Si vous ne croyez pas à la menace du réchauffement climatique ni à l’épuisement des énergies fossiles, arrêtez ici votre lecture, parce que ce qui suit est, certes décoiffant, mais long. Long parce qu’il n’y a pas de réponse simple aux problèmes complexes. Pas compliqués, mais complexes, en ce sens qu’ils sont multiformes, et interpénétrés.
Patrimoine
Notre opposition part d’un point de vue d’esthète, d’un point de vue d’historien, bref, d’un point de vue d’amoureux du patrimoine urbain. L’avenue du Port est une large avenue pavée, bordée de platanes ; la dernière existante encore à Bruxelles. Typique du XIXe siècle, elle structure d’une manière essentielle le site industriel et portuaire emblématique de Tour et Taxis, où la gare Maritime, l’entrepôt Royal, l’avenue et la canal, ont été conçus comme un tout.
Nous admirons l’ingéniosité et le soin qui ont présidé à sa création, nous en admirons la grandeur, l’ampleur, et nous chérissons et respectons le savoir-faire et le travail qui ont été inclus dans cette œuvre. Nous saluons l’artisan et l’ingénieur : c’est du travail bien fait. Nous aimons nous souvenir de la quantité de labeur incluse dans cette œuvre. Nous sommes attristés du manque d’entretien qui a amené l’état actuel.
Ressources non-renouvelables
Notre réflexion se poursuit du point de vue du chimiste. Nous savons désormais que les énergies fossiles sont en voie d’épuisement (plus exactement : nous ne voulons pas le savoir). Continuer à brûler du pétrole pour alimenter nos moteurs plutôt que de le transformer par la pétrochimie est une aberration. Nous sommes en train de priver nos petits enfants de tous les usages nobles de cette précieuse matière première (plastiques, solvants, résines, fibres synthétiques, caoutchouc, détergents, adhésifs, médicaments,…).
On ne peut pas en même temps prôner les économies d’énergie, et continuer à favoriser l’usage de la voiture individuelle. On ne peut pas continuer à faire comme si le pétrole était inépuisable. Nous voulons conserver à l’avenue du Port ses pavés aussi parce qu’ils obligent les automobilistes à modérer leur vitesse. Ils rendent l’usage de la voiture individuelle inconfortable ? Parfait ! Arrêtons les investissements routiers favorables à l’automobile. Arrêtons de faire comme nous le faisons depuis 1960 (on voulait copier les USA) : enlaidir nos villes pour donner plus de place à l’automobile individuelle.
Plein emploi
Et puis nous pensons à la prospérité générale. Nous nous souvenons de Marc Aurèle, qui disait : « Laissez-moi le plaisir de nourrir mon peuple ». Nous voulons favoriser l’emploi ouvrier (Bruxelles en manque cruellement, et c’est la raison de l’insécurité dans les quartiers pauvres). Nous aimons que de l’argent soit dépensé en salaires de manœuvres, de paveurs, d’élagueurs, de cantonniers. Cet argent rentre dans le circuit économique, et favorise la prospérité générale.
L’espace public est très mal entretenu : on laisse les choses se dégrader, et puis on constate subitement qu’il faut tout refaire. Nous voulons voir porter l’effort sur les dépenses d’entretien et de réparation plutôt que sur les dépenses de construction à neuf. Nous voulons des projets urbains à haute intensité de main d’œuvre et à basse consommation d’énergie.
Plaisir de la ville
Ensuite, nous nous demandons pourquoi il est nécessaire de nous priver des arbres à haute frondaison. Quand on a la chance d’en avoir de si grands, on les garde, même s’ils sont un peu de travers. Pourquoi ces platanes ne peuvent-ils être gérés individuellement, remplacés à l’unité, au cas par cas, selon les besoins ? Si on les abat, il nous faudra attendre 30 à 40 ans pour que les nouveaux repoussent. 30 à 40 ans à attendre leur ombre et leur fraîcheur sous le soleil, 30 à 40 ans pour nous abriter de l’averse soudaine.
Gestion de l’eau
De grandes surfaces du site de Tour et Taxis en développement vont être rendues étanches, ce qui augmentera la quantité d’eaux de ruissellement. Profitons des grands travaux de réparation de l’avenue du Port pour installer un égouttage séparant les eaux de pluie des eaux usées. Là aussi le projet qu’on veut nous imposer ne prend pas en compte la gestion responsable de l’eau.
Changement d’époque
Nous ne sommes pas à une époque de changement, mais à un changement d’époque. Nous voulons un aménagement qui soit réversible, qui ne s’impose pas inéluctablement aux générations futures. Les pavés sont indéfiniment réutilisables. Si ce projet – conçu en 2005 – se réalise, on se retrouvera dans quinze ans avec une route faite de 50 cm de béton, dont 22 cm armés, complètement inutile, mais si difficile à démolir avec des moyens mécaniques actionnés par du pétrole à 250 $ le baril (prix 2025). Sans compter que la seule fabrication de ce même béton nous aura déjà coûté l’équivalent de 20 millions de kWh : ce que consomme le chauffage d’un appartement actuel pendant mille ans.
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